Du 16 octobre 2024 au 3 février 2025, le Musée du Louvre propose une exposition thématique sur les figures du fou, du Moyen Âge au Romantisme. Repoussoir ou fascinant, le fou, l’aliéné, parfois traité de malade, occupe une place singulière dans le paysage culturel, à la marge de l’histoire.

Le visage de la folie

Tout au long du parcours, le Musée du Louvre propose une figure incarnée du fou. Un visage, une posture, des vêtements qui trahissent une condition.

En toute logique, l’exposition s’ouvre sur l’origine de la figure du fou. À ce titre, le Musée du Louvre ne souhaite en rien réaliser une histoire de la folie mais entend revenir sur l’iconographie du fou. C’est donc tout naturellement que le parcours prend pour point de départ les miniatures enluminées du Moyen Âge où, dans les marges, se déclinent un ensemble d’ornements et de figures, dont celle du fou. Le fou, dès l’origine, est celui qui est dans la marge, du livre, de la société : c’est littéralement, dans un cas comme dans l’autre, le marginal.

Dès sa première salle, le Musée du Louvre annonce sa double ambition : non seulement retracer l’histoire de cette figure, mettre en lumière son évolution et ses métamorphoses et dans le même temps la réactualiser, souligner sa permanence et son actualité.

Afin de boucler la boucle, le Musée ne fait pas l’impasse sur la rationalisation croissante de la figure du fou avec l’avancée de la médecine, faisant passer la figure du fou à celui de l’aliéné subissant dans la douleur sa condition mentale.

Enfin, le Musée du Louvre termine l’exposition sur un renversement de valeur, chose assez commune chez le fou, comme nous le verrons par la suite. Ce renversement est celui de la folie du monde que même le fou du roi ne parvient plus à accepter, donnant lieu à une des représentations romantiques des plus célèbres : le Stańczyk de Jan Matejko (ci-dessous), au point que cette pénultième pièce fasse complètement de l’ombre à à la dernière pièce de l’exposition : Homme rendu fou par la peur de Courbet (1843, Galerie Nationale d’Oslo).

Jan Matejko, Stańczyk durant un bal à la cour de la reine Bona après la perte de Smoleńsk, 1862, Musée de Varsovie.

Pour mettre en scène cette exposition, le Louvre repense son espace d’exposition en utilisant les salles hautes de plafond pour les éléments architecturaux. Les commissaires et équipes du musée s’amusent ainsi à recréer des éléments de cathédrales pour mettre en lumière (littéralement) les vierges folles, rehaussées de grandes fenêtres opalines. Il en va de même pour les groupes sculptés de Notre Dame qui, présentés sur un fond azur singeant le ciel, s’imposent au spectateur.

La modification du hall Napoléon, à la suite de grands travaux, supprime la rotonde centrale, qui servait à l’époque d’entrée, de sortie mais surtout de boutique, et permet un gain de place non négligeable. Cette section de l’exposition sur le fou dans la ville, traitant du carnaval notamment, souligne la volonté d’une exposition immersive de la part des équipes du Louvre. L’accrochage est plus dense, certains diront fouillis, il y a des pièces partout. Dans une moindre mesure, faut-il y voir une représentation de la cohue de ces temps de fête ? En tout cas, c’est ce sentiment qui peut naître dans l’œil amusé du spectateur.

Le garde-fou social

Comme souligné précédemment, le fou incarne la personne. Celui qui est fou. Le fou est le représenté ou accompagne celui qui, pour des raisons narratives ou symboliques, celui qui commet la folie. Cette dernière représentation indique une conception de la folie contagieuse qui peut aller jusqu’à la pandémie.

Au cours de l’exposition, le Musée du Louvre distille cette vision d’une folie sociale, quand elle ne l’évoque pas clairement. L’évocation est en négatif, en présentant le fou comme celui qui fait respirer dans le carcan étouffant de la cour. Le fou devient celui qui suspend la bienséance de l’étiquette, celui qui trace la ligne entre ce qui est sérieux et ce qui ne l’est pas. L’affirmation du fou comme élément social fait l’objet d’un segment de l’exposition sur le fou en ville, et j’ajouterai dans le segment suivant, s’ouvrant sur l’Éloge de la folie d’Érasme.

La société médiévale est hiérarchisée et soumise au pouvoir temporel et spirituel. La liturgie et ses séquences rythment les vies. Il existait pourtant des moments de lâcher-prise qui permettaient un renversement des valeurs.

Le premier étant la fête des fous ou fête des innocents, dont les hostilités commençaient dès le 26 décembre. Un jeune clerc ou un laïc était désigné comme Pape des fous, faisant du plus petit de la hiérarchie religieuse un souverain pontife. L’autre grand moment, c’est le carnaval. Période précédant le Carême, où la folie s’empare du monde avant l’ascèse rigoureuse du Carême. Carnaval c’est une catharsis par la mascarade, le déguisement, la moquerie du fort par le faible.

Breughel l’ancien représente cette « lutte » dans Le combat de Carnaval contre le Carême (1559, Kunsthistorisches Museum, Vienne). A gauche, la fanfare du carnaval chargée de viandes et de musique. A droite, le cortège du Carême, drapé de noir et consommateur de poissons. Si les allégories semblent se charger comme des cavaliers en joute, les lances  pointées contre leur opposant, la confrontation reste sage et souligne le respect des coutumes liturgiques. La lutte est plus un moment de friction où la société quitte sa liesse pour la rigueur du carême. 

Pieter Brueghel l’Ancien, Lutte de Carême et de carnaval, 1559, Kunsthistorisches Museum, Vienne

Cette manifestation de folie collective, ce moment de transgression invite en même temps à se poser la question de la place de la folie, d’absence de raison dans le corps social. Si le rationalisme s’est imposé dans les consciences, au point pour certains de constater un « désenchantement du monde », la section du parcours consacré à l’ubiquité de la folie invite à repenser la place de la raison dans le monde, dans nos rapports à nous-mêmes et envers les autres.  Érasme dans son Éloge de la folie, n’invite pas, par ailleurs, à renoncer entièrement à la raison, mais à plus d’indulgence envers nous-mêmes et à l’expression de nos passions et de tout ce qui fait de nous des êtres faillibles.

Ainsi, à l’heure où la santé mentale, en particulier celle des jeunes, est mise à mal par des modes de productions rationnels, il peut sembler salvateur, quoique paradoxal afin d’aller mieux, de céder un petit peu plus à la folie.

Une exposition actuelle

Si le Musée du Louvre est le plus grand musée du monde, il est aussi un des plus visités. Pourtant, l’institution se doit de rester attractive. 2024 marque dans un premier temps la réouverture du Hall Napoléon, dédié aux expositions temporaires. Le Musée se devait de présenter une exposition d’envergure pour ce nouvel espace. Cependant, si cette raison explique le soin porté à l’exposition, elle ne justifie en rien le choix du sujet.

2024 marque également les cent ans de la publication du Manifeste du surréalisme d’André Breton. Toute la capitale, le Centre Pompidou en tête, a rendu hommage au mouvement. Contraint par ses collections, lesquelles s’arrêtant en 1848, le Louvre parvient en rendant hommage à la figure du fou à rentrer dans la danse en présentant non pas le résultat du surréalisme, mais une de ses inspirations. Par son choix et sa programmation, l’exposition Les figures du fou permet au Louvre de s’inscrire dans l’actualité artistique en mettant des collections plus anciennes.

Effet d’opportunité, le Musée parisien a accueilli des acteurs du film Joker : folie à deux dans le cadre d’une action promotionnelle ainsi qu’un commentaire du trailer par une des commissaires, Elisabeth Antoine-König pour tracer les parallèles entre les représentations modernes et traditionnelles de la folie. Toutefois, si l’initiative semble avoir fait du bruit dans les cercles spécialisés, l’intérêt est vite retombé par manque de communication plus grand public, et peut-être (mais il ne s’agit ici que de spéculations personnelles) en raison de l’échec du film au box-office.

En bref

Figures du fou est une exposition fleuve qui se veut être la plus exhaustive possible. Du marginal à l’aliéné, le fou est une figure de l’ombre par excellence : toujours présent mais jamais sujet principal. Cette mise en lumière proposée par le Musée du Louvre est à mon sens une grande réussite, par ses thèmes abordés, la disposition de son parcours et le choix de ces pièces.

Si l’exposition marque les esprits par son actualité, je pense qu’elle entrera aussi dans le temps à la manière de l’exposition Les Choses présentée il y a quelques années, s’imposant comme une nouvelle référence dans le petit monde de l’art.

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