Occupant les cimaises du Petit Palais, du 12 juin au 19 janvier 2025, l’accrochage We are here propose une confrontation inédite entre une sélection d’artistes issus de l’art urbain et les collections permanente du Musée des Beaux-Arts de la ville de Paris.
Au travers de plusieurs salles, dont un ersatz d’accrochage du salon de 1863, We are here mélange les genres pour affirmer la place de l’art urbain dans le paysage culturel français.
Une volonté légitimatrice
D’entrée de jeu, We are here annonce son ambition au travers d’un manifeste : réaliser un parallèle entre les collections historiques de la ville de Paris et l’art urbain. Pour ce faire, la galerie Itinerrance, organisatrice principale de l’exposition procède par deux moyens :
D’une part, le choix du lieu : le Petit Palais est idéal. Tout d’abord, il s’agit d’une importante collection, dont l’écrin possède une histoire riche. Deux éléments qui ajoutent un prestige à l’institution. Ensuite, le Petit Palais souffre d’une concurrence féroce de son premier rival : l’intouchable Musée d’Orsay. Ainsi, le Petit Palais est bien souvent plus audacieux dans la programmation et il semble logique qu’il reçoive ce nouvel accrochage. We are here est un combo gagnant entre une galerie voulant faire la promotion de ses artistes, des artistes voulant accéder au prestige d’un accrochage muséal et une institution qui cherche l’originalité.
D’autre part, le choix de l’accrochage. Afin de créer un parallèle littéral entre les époques, les œuvres sont accrochées comme à la fin du XIXe siècle. Cet accrochage surnommé touche-touche est surchargé, tributaire du cadre pour circonscrire l’œil. Il sera demandé de lever les yeux sur certains accrochages un peu élevés, mais pas trop non plus, c’est pour le folklore. Le vrai effet d’écrasement, propre au Salon est dans la salle de la Concorde où une soixantaine d’artistes exposent de manière serrée.
Le parallélisme se veut historique en citant directement le salon des refusés de 1863, revendiquant une filiation quasi-directe avec les avant-gardes exclues des cercles officiels.
Autre exemple de parallélisme notable, deux œuvres de Seth affublées d’un cadre doré, œuvres qui font bande à part dans sa production. Le reste du temps, ses œuvres sont soit décadrés ou en caisse américaine. Toutefois, ces ajouts, s’ils surprennent, ne sont pas choquants et l’on se prend à penser que le cadre traditionnel n’est pas mort : il attend juste son retour en grâce.
« Sa place est dans un musée » : solubilité du street art dans l’institution
L’art urbain pose un premier problème de définition. Pour les plus puristes, il se limite à l’œuvre dont la stricte exposition est à ciel ouvert et don la réalisation est illégale. Pour les plus modérés, il s’agit d’un style reprenant des codes graphiques issus de la pratique d’un art de rue. Encore aujourd’hui l’appellation d’art urbain est floue tant la variété des pratique qu’elle recoupe est éclectique. Toutefois, ce flou est maintenu par le manque de discours plus analytique, l’art urbain n’est pas pris au sérieux par les historiens de l’art.
Un premier exemple de cela est un passage d’une lettre de la Direction général de la création artistique adressé au M.U.R. (association d’artiste urbain) faisant état du manque de documentation concernant l’art urbain. Les publications réflexives sur l’art urbain sont minoritaires et sont souvent issues de colloques ou des thèses ; je vous renvoie vers (R)évolutions du street art dirigé par Éric Van Essche ou L’art urbain des graffitis. Expérimentation des frontières esthétiques soutenue par Gary Burgi pour plus de détails. Si la recherche a l’inconvénient de figer des catégories, au risque parfois de la sclérose ; Elle permet au moins, non seulement de légitimer, mais aussi d’y voir plus clair tout en s’accommodant du bouillonnement des pratiques. À l’inverse, l’art urbain souffre d’une considération très décorative, parfois kitsche. Son graphisme coloré alimente les anthologies around the world qui finissent par prendre la poussière sûr, ou sous, la table basse.
D’autre part, la représentation dans les musées. L’art urbain est peu représenté au sein des collections nationales et municipales. En 2019, l’Étude nationale sur l’Art Urbain, commandée par le ministère de la Culture faisait état de la faible présence de ce style dans les collections publiques. Plus intéressant encore, il y est fait mention de la difficulté avec laquelle les rédacteurs ont tenté d’établir cette liste, les mots-clefs : « street art » et « art urbain » n’étant pas rattaché à des notices d’œuvres. Ainsi, de l’aveu même des rédacteurs, cette liste n’est pas exhaustive.
Toutefois, des musées s’investissent dans l’établissement d’une collection d’art contemporain. Le Centre Pompidou a acquis en janvier 2024 huit œuvres de Gérard Zlotykamien ainsi qu’un ensemble de Lak & Sowat. Mieux vaut tard que jamais.
À ce niveau, le Mucem semble être le bon élève avec un important fond de graffitis. Cependant, et de l’aveu même de Claire Calogirou, commissaire de l’exposition Graff en Méditerranée (2017), la collection est anthropologique et non artistique. Si le Mucem permet une reconnaissance institutionnel, pas sûr que ce soit celle recherché par les artistes.
Si la présence de l’art urbain dans les collections nationales est faible, We are here ne fait pas état de nouveauté. En 2009, en face du Petit Palais, le Grand Palais exposait T.A.G. au Grand Palais, la même année, la Fondation Cartier présentait Né dans la rue – Graffiti. D’autres manifestations institutionnelles ont présenté l’art urbain dans sa diversité : Wall drawings : icônes urbaines au Musée d’Art contemporain de Lyon (2016) comprenant également un ensemble de travaux en extérieur, maintenait l’art urbain dans une logique muraliste, sur la rue ; Conquête urbaine, du Street Art au musée présenté au Musée des Beaux-Arts de Calais (2019) souhaite pousser la réflexion sur la solubilité de l’art urbain dans le dispositif du white cube.
We are here force son artifice pour créer un parallélisme des formes. La copie du salon de 1863 est elle réellement nécessaire pour légitimer l’art urbain. Ce besoin d’exhumer un vieux dispositif laisse à penser que l’art urbain n’est pas assez mûr pour se légitimer seul, qu’il doit encore faire appel à des instances de légitimation et copier l’histoire et non l’inventer. Ainsi, la proposition du manifeste est un coup d’épée dans l’eau. Peut-on écrire l’histoire ici et maintenant en répétant le passé non loin d’ici ?
Une exposition littéralement commerciale
Fondée en 2004, la galerie Itinerrance est un haut lieu de l’art urbain. À sa tête, le galeriste Medhi Ben Chek multiplie les projets pour promouvoir ce type de production. Citons par exemple : la Tour Paris 13 en 2013 ; Boulevard Paris 13 : l’ensemble de fresques rythmant le boulevard Vincent Auriol depuis 2014 en partenariat avec la mairie ; Djerbahood investissant les rues d’Erriadh en Tunisie depuis la même année. Par ailleurs, le galeriste est à l’origine de la foire District 13 dont la cinquième édition s’est tenue en janvier dernier, investissant le cœur du marché de l’art parisien, l’hôtel Drouot. À nouveau, un choix légitimant pour un marché en pleine expansion.
Ainsi, We are here semble dans la continuité de ces actions de valorisation de l’art urbain. Parmi les artistes représentés dans cet accrochage, une partie d’entre eux sont passés par les murs de la galerie Itinerrance. Il est ainsi possible de citer : Add Fuel (2019, 2023), Bom-K (2017), B-Toy (2014), Cryptik (2019), D*Face (2023, 2018), Danhoo (2018), David De La Mano (2021, 2015), El Seed (2014), Ethos (2013), Hush (2024), Inti (2018), Jana & Js (2011), Maye (2018, 2016), Shepard Fairey (2024, 2019), Pantonio (2017, 2014), Saner (2019), Seth (2017, 2015), Shoof (2017, 2015), Swoon (2024), Tristan Eaton (2017).
Une telle proportion, un tiers des noms, certains accrochés plusieurs fois, n’est pas sans soulever quelques remarques. Tout d’abord, l’indépendance du commissariat peut être remise en cause. S’il est vrai que les deux autres tiers des sélectionnés ne sont pas issu d’Itinerrance, la galerie du curateur reste une importante source d’œuvre. Inconsciemment, le lien entre le contenu du musée et celui de la galerie se crée, si bien que la future activité commerciale de la galerie sera associée, au travers de ces artistes, à cet accrochage.
Arrive naturellement une seconde remarque, celle de la pertinence de la sélection pour cet accrochage. En effet, les œuvres présentées sont toutes extrêmement contemporaine et passe sous silence toute l’histoire du street art. Pas de référence aux writters des années 60 qui ont jeté les bases d’une nouvelle façon de concevoir l’œuvre d’art. L’accrochage de We are here présente des artistes établis, connu du marché à qui il manquait seulement une reconnaissance institutionnelle octroyée par le partage des cimaises des Monet, Pelez et Courbet.
Enfin, et peut être le ressenti le plus personnel : l’impression que We are here est une grande publicité au profit d’une structure privée au sein de collection publique. Se pose la question de la perméabilité des institutions publiques aux intérêts privés. On ne peut en vouloir à la galerie Itinerrance qui n’est clairement pas étrangère dans le rayonnement de l’art urbain à Paris comme ailleurs. We are here est même née d’une certaine apathie des musées envers l’art urbain. Là où le public n’a pas trouvé d’intérêt, le privé a comblé un vide.
Conclusion
En bref, We are here n’est pas une exposition, mais un accrochage. Si la sélection d’œuvres souhaite s’intégrer dans les sujets représentés (Vilhs/Pelez sur la dureté du monde par exemple), cela semble déséquilibrée face à l’accrochage du Salon de 1863 qui est présenté comme l’élément le plus important. Pourtant comme développé précédemment, il semble que le parallèle s’essouffle rapidement. L’art urbain est dans une mue entre légitimité par le public et manque de reconnaissance de l’institution. We are here recherche une réponse au mauvais endroit avec les mauvais exemples.
Ce qui manque pour l’art urbain est une véritable rétrospective autonome, balayant soixante ans d’histoire. Mettre en avant ses apports, sa diversité, sa politique. Ce n’est qu’au travers de ce genre d’accrochage que le levier institutionnel sera un vrai marqueur de légitimation dans le temps





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